CHAPITRE 1 LA PLACE DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE DANS LA FRANCE FIN 2015 En préalable des propositions qu’elle fera, il a été demandé à la mission de dresser un bilan de la négociation collective avec ses atouts et ses faiblesses. Tel sera l’objet de ce chapitre, qui implique la compréhension du contenu et de la portée des réformes, nombreuses, des dix dernières années. 1. Les relations du travail Une entreprise est d’abord un centre de production de biens et de services. Cette production s’appuie sur des savoir-faire, des investissements et le plus souvent sur une communauté de travail composée de salariés. Pour des raisons extrêmement diverses tenant notamment à l’organisation et au management, mais aussi à la sociologie, à la psychologie, à l’histoire, aux idéologies et au droit, la relation individuelle ou collective de travail est l’une des plus complexes qu’ont à « gérer » les sociétés modernes. De façon très prosaïque, c’est dans le cadre de cette relation qu’il faut définir les principes qui sont essentiels tant pour l’entreprise, sa compétitivité et parfois son existence, que pour la vie quotidienne de seize millions de salariés : contrat de travail, droits et obligations réciproques de l’employeur et des salariés, salaires, temps de travail, conditions de travail, santé et la sécurité au travail, articulation entre la vie privée et la vie professionnelle… La question posée, sinon sa réponse, est simple à énoncer : quel est le mode de régulation le mieux adapté pour fixer les règles en la matière ? Avant de tenter une réponse, il faut déjà noter que cette présentation est volontairement simpliste : elle oublie ou feint d’oublier que l’entreprise moderne est dans un noeud de relations avec ses clients, ses concurrents, ses fournisseurs, ses donneurs d’ordres qui FRANCE STRATÉGIE 17 SEPTEMBRE 2015 www.strategie.gouv.fr La négociation collective, le travail et l’emploi ont, tout autant que l’employeur, une influence directe sur la communauté de travail de ses salariés. À titre d’exemple, le client de certaines entreprises, qui est le plus souvent lui-même un salarié, a des exigences telles qu’il est devenu l’un des facteurs principaux du stress des salariés. Le donneur d’ordres peut être particulièrement vertueux dans ses relations avec ses propres salariés mais reporter les contraintes et les risques sur ses sous-traitants et notamment les salariés de ces derniers. Mais si l’on revient à la relation de travail dans son sens étroit, on constate que sa complexité et sa spécificité ont conduit dans tous les pays à construire, par rapport au droit commun, des modes de régulation originaux dans le cadre de ce que l’on peut appeler le droit du travail ou le droit des relations du travail. Le droit du travail s’est construit depuis le XIXe siècle, non sans luttes syndicales, sur un constat : le contrat conclu entre l’employeur et le salarié, le contrat de travail, était un contrat par nature inégal au profit de l’employeur. Progressivement, une série de dispositions législatives, réunies dans le code du travail, ont été prises pour compenser cette inégalité et assurer la protection du salarié. Si l’on prend l’exemple de la France, ce code s’est progressivement enrichi de multiples dispositions non plus seulement pour assurer une meilleure protection des salariés mais la régulation d’une société complexe et pour répondre aux demandes de sécurité juridique des différents acteurs au nombre desquels les entreprises et leurs organisations professionnelles. D’autres facteurs ont contribué à une augmentation significative des dispositions composant ce code : en premier lieu, la nécessaire transposition d’une législation communautaire particulièrement foisonnante en matière de travail et d’emploi, depuis le début des années 1980, surtout dans le champ de la sécurité et de la santé au travail ; en deuxième lieu, une forme de politisation du code, contribuant à une instabilité législative et règlementaire ; enfin, une interprétation extensive des compétences du législateur dans la définition des principes fondamentaux du droit du travail. C’est dans ce contexte que, depuis le début du XXe siècle, s’est progressivement créée entre la loi et le contrat de travail une source de droit spécifique qui est la faculté reconnue, d’une part, aux syndicats de salariés et, d’autre part, aux employeurs et aux organisations les représentant, de signer des accords collectifs. Par délégation de la loi et dans des conditions définies par le code du travail, ces accords peuvent créer des normes applicables aux entreprises et à leurs salariés. FRANCE STRATÉGIE 18 SEPTEMBRE 2015 www.strategie.gouv.fr Chapitre 1 La place de la négociation collective dans la France fin 2015 Ces accords peuvent être signés essentiellement à trois niveaux : celui de l’entreprise, celui du secteur économique qui se dénomme la « branche » au sein de laquelle sont définies les conventions collectives et, enfin, le niveau national et interprofessionnel qui correspond aux grands accords signés, notamment en matière d’emploi, avec les confédérations syndicales et les principales organisations d’employeurs. Si les droits du travail des pays occidentaux sont très différents en raison de leur histoire, de leur culture et du système juridique de chaque pays, l’architecture de base, telle qu’elle vient d’être décrite, est assez proche. La régulation se fait, en conséquence, par les sources essentielles que sont la loi, les accords collectifs et le contrat de travail. Dans aucun pays une seule de ces sources n’est exclusive. Mais les systèmes divergent profondément dans la pondération de chacune. 2. La négociation collective : une tradition française Le discours dominant est de dire que dans cette pondération, la France se situe dans les pays qui donnent la plus large place à la loi comme mode de régulation par rapport à l’accord collectif et au contrat de travail. Cette évidence est, en partie, inexacte. En réalité, la France est un pays de négociation collective et, depuis environ une quinzaine d’années, la tendance est à un renvoi accru à cette négociation. La branche, lieu de régulation de la concurrence, dont le périmètre est librement défini par les partenaires sociaux, est considérée comme le niveau pertinent de détermination d’un socle minimum de garanties sociales pour les salariés (salaire minimum, formation, qualifications, prévoyance, etc.) et de cadrage général de l’organisation et des conditions de travail d’un secteur d’activité économique plus ou moins étendu. Le rôle de l’accord de branche est bien sûr déterminant quand cette dernière est composée essentiellement de très petites entreprises ou d’entreprises moyennes, ce qui explique l’importance qu’il revêt pour les organisations professionnelles représentant l’agriculture, les professions libérales ou l’économie sociale. La plupart des organisations syndicales y voient également un échelon de négociation plus mature et plus sûr. Mais aussi le moyen de limiter les risques d’une concurrence entre les entreprises d’un même secteur qui se ferait par du « dumping social », c’est-àdire concrètement au détriment des salariés. Plus de 95 % des salariés sont ainsi couverts par un accord de branche en France, chiffre qui a peu d’équivalent dans les autres pays. Une des raisons en est que les FRANCE STRATÉGIE 19 SEPTEMBRE 2015 www.strategie.gouv.fr La négociation collective, le travail et l’emploi accords de branche s’appliquent aux salariés du secteur et pas seulement aux salariés adhérant aux syndicats qui ont signé l’accord. Pour les entreprises, les obligations de négocier à ce niveau sont nées en 1982 avec les lois dites Auroux. Le nom du ministre du travail qui sera accolé dans la suite du texte à chacune des lois dont le ministre est l’initiateur montre la permanence et la convergence des évolutions en la matière, quels que soient les gouvernements et les politiques qu’ils ont menées. Les lois de 1982, créant les accords dérogatoires, ont introduit une innovation majeure : l’obligation annuelle de négocier dans l’entreprise sur les salaires effectifs et la durée effective et l’organisation du temps de travail. Mais indépendamment de cette négociation obligatoire, les accords d’entreprise sont nombreux et portent sur les thèmes les plus divers. Il existe ainsi de nombreux niveaux d’accords collectifs qui créent de la norme en droit du travail. Longtemps les rapports entre ces différents niveaux ont été régis par le seul « principe de faveur ». Le droit applicable était construit sur une base pyramidale dont le sommet était la loi, ensuite l’accord interprofessionnel, ensuite l’accord de branche, ensuite l’accord d’entreprise et, enfin, le contrat de travail. Chaque source « inférieure » pouvait déroger à la norme supérieure à la condition impérative qu’elle soit plus favorable pour le salarié (articles L. 2253-1 et L. 2254-1 du code du travail). Près de la moitié des salariés du secteur privé bénéficient de la négociation d’entreprise. Tel était le cadre général de la négociation collective. Celui-ci a fortement évolué depuis 1982 dans le sens d’un renvoi encore plus fréquent et substantiel du code du travail à la négociation collective ainsi que d’une autonomisation des différents niveaux de négociations, limitant fortement la portée du principe de faveur. 3. Un ancrage croissant depuis 1982 dans les lois et les jurisprudences 3.1. Les lois Cette évolution s’est faite en plusieurs étapes. La première est constituée par les lois dites Aubry des 13 juin 1998 et 19 janvier 2000, élargissant les accords « dérogatoires » sur le temps de travail : si elles permettent de négocier hors du principe de faveur, dire que ces accords dits dérogatoires créent des règles forcément défavorables aux salariés est inexact. Créé en janvier 2000, le forfait-jours FRANCE STRATÉGIE 20 SEPTEMBRE 2015 www.strategie.gouv.fr Chapitre 1 La place de la négociation collective dans la France fin 2015 des cadres autonomes est souvent soutenu par ses bénéficiaires qui ont obtenu des jours supplémentaires de repos. Avec la loi du 4 mai 2004, dite loi Fillon, une nouvelle étape est franchie en autonomisant l’accord d’entreprise par rapport à l’accord de branche. Ce dernier peut désormais déroger à un accord de niveau supérieur – y compris en dehors du principe de faveur –, sauf si celui-ci en dispose autrement. Cette possibilité de dérogation est ouverte sur tous les sujets de négociation, sauf les salaires minima, les classifications, la mutualisation des fonds de la formation professionnelle et la mutualisation des fonds de la protection sociale complémentaire (article L. 2253-3 du code du travail). Dite loi Larcher et inspirée du système applicable au sein de l’Union européenne, la loi du 31 janvier 2007 est née des soubresauts du contrat de première embauche (CPE). Elle donne à la négociation collective interprofessionnelle une place nouvelle en prévoyant que toute réforme envisagée par un gouvernement en matière d’emploi, de travail et de formation professionnelle doit être précédée d’une demande de négociation au niveau national interprofessionnel (article L. 1 du code du travail). Enfin, la loi du 20 août 2008, dite loi Bertrand, confie, toujours en matière de durée du travail, à l’accord d’entreprise la compétence de principe pour élaborer certaines règles : contingent d’heures supplémentaires, répartition et aménagement des horaires. La convention de branche ne s’applique qu’à défaut d’un tel accord d’entreprise, et le code du travail qu’en l’absence d’un accord collectif. La partie la plus souple du code du travail actuel est ainsi celle consacrée au temps de travail puisqu’elle procède à ce que les spécialistes dénomment une « inversion des normes » au profit de l’accord d’entreprise. La seule exception notable au renvoi à la négociation, qui est la cause de beaucoup de malentendus, porte sur la durée légale du travail. Cette durée légale de « 35 heures » n’est évidemment pas un plafond d’heures travaillées mais uniquement le seuil à partir duquel s’applique la majoration due par l’employeur en cas d’heure supplémentaire. Parallèlement à ce renforcement de la place de l’accord et en particulier de l’accord d’entreprise, les lois du 20 août 2008 et 5 mars 2014 visent à renforcer la légitimité des acteurs en réformant les règles de leur représentativité et en renforçant les règles de validité des accords. La loi du 20 août 2008 a défini comme représentatifs les syndicats de salariés qui ont une légitimité fondée sur les résultats aux élections professionnelles, aux comités d’entreprise et aux délégués du personnel, et sur une élection spécifique pour les très petites entreprises (TPE). FRANCE STRATÉGIE 21 SEPTEMBRE 2015 www.strategie.gouv.fr La négociation collective, le travail et l’emploi La loi du 5 mars 2014, dite loi Sapin, a, quant à elle, réformé la représentativité patronale : seules les organisations qui ont un nombre significatif d’entreprises adhérentes peuvent signer les accords au nom des entreprises aux niveaux national et interprofessionnel et des branches. Dans le champ de l’emploi, la place de la négociation collective est aussi forte, puisqu’il appartient aux partenaires sociaux représentatifs au niveau interprofessionnel de négocier la convention d’assurance-chômage. Par ailleurs, la loi du 5 mars 2014 a renforcé la place de la négociation dans le champ de la formation professionnelle. Enfin, les plans de sauvegarde de l’emploi, qui faisaient l’objet d’une procédure unilatérale de l’employeur avec consultation du comité d’entreprise, sont depuis la loi du 14 juin 2013 ouverts à la négociation. Au-delà de ces textes fondateurs, l’ensemble des lois votées pendant cette période concernant l’emploi, le travail et la formation professionnelle procèdent à des renvois substantiels à la négociation collective, que ce soit de branche ou d’entreprise, notamment : choix de la journée de solidarité, épargne salariale, travail dominical, service garanti dans les transports terrestres, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, égalité hommes/femmes, contrat de génération, accords de maintien de l’emploi et accords de mobilité.Les lois les plus récentes, que ce soit la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, sur le travail dominical, ou la loi du 17 août 2015, dite loi Rebsamen, sur le dialogue social et l’emploi traduisent et amplifient cette évolution. La première place l’accord collectif au centre des différents dispositifs de travail dominical, la seconde vise à rationaliser et à regrouper les différentes obligations de négocier au niveau de l’entreprise. Relevons enfin que les règles de validité des accords ont été renforcées. Pour être valide, un accord collectif doit depuis 2008 être signé par des syndicats de salariés qui représentent au moins 30 % des voix, sans opposition des syndicats qui représentent la majorité des salariés. Par dérogation à cette règle de droit commun, la loi a posé le principe d’accords majoritaires (accords signés par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés) pour l’emploi (accords de maintien de l’emploi, plans négociés de sauvegarde de l’emploi), pour le regroupement des institutions représentatives du personnel dans les entreprises de plus de 300 salariés ou, enfin, pour la définition des modalités de la négociation obligatoire. 3.2. Le juge Cette évolution n’est pas seulement législative : elle est aussi jurisprudentielle puisque le juge a accompagné ce mouvement. FRANCE STRATÉGIE 22 SEPTEMBRE 2015 www.strategie.gouv.fr Chapitre 1 La place de la négociation collective dans la France fin 2015 La Cour de Justice de l’Union européenne, la Cour de Luxembourg, a fait de la négociation collective un principe de niveau communautaire (CJCE, 8 septembre 2011, 297/10, Hennigs). Le Conseil constitutionnel a reconnu le rôle de la négociation collective sur le fondement du 8e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion de l’entreprise » (Décision n° 77-79 DC du 5 juillet 1977 ; voir « Les principes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière sociale », O. Dutheillet de Lamothe, Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, 2014, n° 45). Dans sa jurisprudence récente, le juge constitutionnel reconnaît au législateur la faculté, « après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités d’application concrètes des normes qu’il édicte » (Décision n° 2004-494 DC du 29 avril 2004.) Enfin, la liberté contractuelle, qui a valeur de principe constitutionnel, couvre les accords collectifs du travail (Décision n° 2008-568 DC du 7 août 2008). Le Conseil d’État, dans ses fonctions consultatives, est, quant à lui, un gardien vigilant de la bonne application de l’article L. 1 du code du travail. Ses formations contentieuses veillent à la bonne application des principes constitutionnels et des règles de droit du travail qui, par exemple en matière de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), renvoient à la négociation (Assemblée du contentieux, 22 juillet 2015, n° 383481, 385668, 385481, 386496). Quant à la Cour de cassation, la chambre sociale, par un arrêt remarquable du 27 janvier 2015, a reconnu la spécificité de l’accord collectif par rapport à l’acte unilatéral de l’employeur en conférant une présomption de légalité, au regard du principe d’égalité, aux accords collectifs. Ces jurisprudences sont issues de processus qui ne vont pas sans soubresauts. Ainsi la Cour de Luxembourg a dû concilier la négociation collective avec les grandes libertés de l’Union européenne que sont la libre circulation des personnes et la libre prestation des services. Dans des jurisprudences contestées, la Cour a jugé que les accords collectifs pouvaient méconnaître ces libertés et entraver, par exemple, la libre circulation des travailleurs. FRANCE STRATÉGIE 23 SEPTEMBRE 2015 www.strategie.gouv.fr La négociation collective, le travail et l’emploi La liberté contractuelle sanctuarise parfois, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, des accords précédemment signés en empêchant la mise en oeuvre immédiate de réformes nécessaires en matière de négociation. L’application du principe d’égalité par le juge judiciaire ou le juge administratif est apparue particulièrement déstabilisante pour la négociation, dont l’un des objets est, par nature, de faire des différenciations. Mais l’essentiel est de noter que les jurisprudences ont, en substance, plutôt accompagné le mouvement législatif tendant à donner davantage de place à l’accord collectif. Souvent saisi sur la question de la validité des accords collectifs, le juge judiciaire est devenu un acteur à part entière de la négociation collective. Toute réforme en la matière ne peut faire l’économie du rôle qu’il s’est reconnu. Ce rôle d’acteur final de la négociation collective n’est d’ailleurs pas sans risque pour le juge lui-même tant la réalité de la négociation et de ses enjeux est différente de la réalité du dossier contentieux qui lui est soumis. Non sans paradoxe au regard des critiques récurrentes faites au droit du travail en France, il résulte du constat qui précède que ce dernier est sans doute un de ceux qui a été le plus loin dans le renvoi à la négociation collective sous toutes ses formes. Les pays souvent cités, par exemple l’Allemagne, ont un système juridique beaucoup plus contraignant sans disposer, par exemple, de l’équivalent de l’autonomie des accords d’entreprise par rapport à l’accord de branche. 3.3. Le contexte communautaire La France n’est pas la seule à connaître ces évolutions. Beaucoup de nos voisins voient, chacun selon sa culture et son histoire, dans la négociation collective une forme privilégiée de régulation. L’Union européenne a fortement poussé en ce sens notamment depuis les « entretiens de Val Duchesse » menés en 1985 sous l’égide de Jacques Delors, alors président de la Commission des Communautés européennes. Il y existe ainsi une activité relativement élevée de négociation, tant au niveau interprofessionnel européen (congé parental, travail à temps partiel, contrat à durée déterminée, télétravail, stress, etc.) qu’aux niveaux sectoriels (accords sur le temps de travail dans le transport aérien, sur le football professionnel, etc.). FRANCE STRATÉGIE 24 SEPTEMBRE 2015 www.strategie.gouv.fr Chapitre 1 La place de la négociation collective dans la France fin 2015 4. Un accompagnement constant des services de l’État Pour revenir à la France, les pouvoirs publics ne se sont pas bornés à élaborer des textes favorables à la négociation collective. Les services de l’État, et plus particulièrement ceux du ministère du travail, jouent un rôle essentiel en la matière. Pour illustrer ce rôle, une image routière sera sans doute plus éclairante que des développements juridiques sophistiqués sur les procédures et les contrôles. En matière de négociation collective, l’État est à la fois « Bison futé », en ce qu’il facilite la circulation et évite les retards, et le « gendarme » qui contrôle les violations de la loi. 4.1. Le soutien et l’accompagnement L’État joue le rôle de Bison futé en ce qu’il contribue directement ou indirectement à assurer, à accompagner, inciter, faciliter et soutenir la négociation. Cette action en la matière est peu connue et reconnue, du moins lorsque cela fonctionne bien. Elle n’implique l’utilisation d’aucun outil régalien. C’est de la pratique, de l’expertise et surtout beaucoup du temps des agents de l’État mis au service des partenaires sociaux. • Au niveau des branches, l’État est présent sous la forme de la présidence des commissions mixtes paritaires, qui sont constituées en cas de blocage de la négociation. Lorsque le sujet devient très sensible socialement et politiquement, la Direction générale du travail (DGT) peut elle-même intervenir (par exemple, dans les négociations sur les conventions collectives des hôtels-cafés-restaurants, du spectacle vivant, ou de la production cinématographique…). La Délégation générale à l’emploi et à la formation permanente (DGEFP) est elle-même très présente, notamment lors de la négociation de la convention de l’assurancechômage, avec là aussi des mécanismes de remontées à plus haut niveau en cas de graves difficultés (voir, par exemple, la mise en place par le Premier ministre, en 2014, d’une mission sur l’intermittence). Dans la très grande majorité des cas, la présence de l’État n’est pas imposée aux partenaires sociaux mais, au contraire, sollicitée par ces derniers. La seule limite est la capacité des services du ministère du travail et de l’emploi à faire face à cette demande. Dans le cadre de la restructuration des branches du spectacle menée par la Direction générale du travail depuis 2006, plus de 500 séances ont été nécessaires... C’est dire qu’une grande part du poids de l’opération de restructuration des branches prévue par la loi du 5 mars 2014, qui consiste à réduire le nombre excessif des branches, repose sur les services de la DGT. FRANCE STRATÉGIE 25 SEPTEMBRE 2015 www.strategie.gouv.fr La négociation collective, le travail et l’emploi • L’État joue aussi un rôle de soutien et d’impulsion par ses services déconcentrés que sont les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) pour les accords négociés au niveau des entreprises. Parfois l’État, à son niveau central, intervient de façon pressante sur la négociation d’entreprise. Un exemple peut en être donné lorsque l’État a demandé en 2009 aux entreprises de plus de 1 000 salariés de négocier des accords sur le stress. L’originalité du dispositif reposait sur le fait que l’État s’était inscrit dans une logique de « droit souple » puisque les entreprises visées faisaient l’objet, en fonction de l’état de leur négociation sur le sujet, d’un régime rendu public de « feux vert, orange ou rouge ». Il faut souligner qu’il fut, avant qu’il ne soit interrompu à la demande pressante des organisations professionnelles, plutôt efficace. Face à l’hostilité déclarée des entreprises à cette forme de droit souple, l’État a été amené à adopter des mécanismes de sanctions financières, en apparence plus radicaux (cf. infra sur la « négociation administrée »). 4.2. Le contrôle régalien L’État est le « gendarme » en ce qu’il assure le contrôle de la légalité des accords de branche par le biais des arrêtés d’extension pris par le ministre du travail après avis de la commission nationale de la négociation collective composée des partenaires sociaux représentatifs. Son contrôle n’est pas exclusivement juridique et intègre, en droit, pour les refus d’extension mais aussi en fait, pour les extensions, des considérations d’opportunité sur l’intérêt que présente l’accord pour la branche concernée. Devant la complexité croissante des textes soumis à l’extension et en raison des délicates questions d’opportunité que peuvent poser ces accords, les délais de la procédure d’extension se sont sensiblement allongés, non sans susciter des critiques de la part des partenaires sociaux concernés. L’État ne joue pas, en revanche, ce rôle de contrôle et de gendarme (à l’exception du cas particulier des accords concernant l’épargne salariale) pour les accords d’entreprise. Les accords d’entreprise font l’objet d’un dépôt dans les Direccte, mais cette procédure n’autorise pas les services à opérer un contrôle de la légalité de l’accord à l’instar de ce que fait l’État en matière d’extension des accords de branche. Dès lors, en cas de contentieux, seul le juge judiciaire contrôle la validité des accords d’entreprise. FRANCE STRATÉGIE 26 SEPTEMBRE 2015 www.strategie.gouv.fr